101 ans après, se souvenir de la fin de la première guerre mondiale

novembre 12, 2019 dans A la une, A vos côtés par Catherine Baratti-Elbaz

Monsieur le Président du Comité d’Entente des Associations de Combattants et Victimes de Guerre,

Monsieur le Président de l’Amicale du 46ème Régiment d’Infanterie de la Caserne de Reuilly,

Mesdames et Messieurs les Présidents et membres des associations d’anciens combattants,

Madame la Directrice de l’école Lamoricière,

Monsieur le Commissaire,

Madame la Députée,

Mesdames et Messieurs les élu-e-s,

Mesdames et Messieurs,

Cher-e-s enfants,

 

Le 11 novembre 1918, à 11 heures du matin, il y a 101 ans, jour pour jour, heure pour heure, à Paris comme dans toute la France, les clairons ont retenti et les cloches de toutes les églises ont sonné.

C’était l’armistice. La fin de quatre longues années de combats meurtriers.

Ce même jour, les Français et leurs Alliés ont célébré leur victoire. Ils s’étaient battus pour leur patrie et pour la liberté. Ils avaient consenti, pour cela, tous les sacrifices et toutes les souffrances. Ils ont connu un enfer que nul ne peut se représenter

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Les témoins directs de 14-18 ne sont plus là, le dernier Poilu est mort il y a déjà plus de 10 ans. Nous sommes les témoins des témoins, ceux qui ont reçu la parole des survivants de cette Grande Guerre. Nous avons entendus leurs mots et c’est à nous de passer le relai de la mémoire aux nouvelles générations.

 

Je suis ravie d’accueillir ce matin les enfants de l’école Lamoricière que je remercie chaleureusement pour leurs chants émouvants et leur calligramme que vous voyez. Associer la jeunesse du 12e à chaque commémoration est devenu une habitude, qui je l’espère sera perpétuée.

 

Jacques Wittemberg, était un passeur de mémoire très engagé Il nous a quittés brusquement il y a quelques semaines. Je voudrais avec vous, avoir une pensée toute particulière pour lui aujourd’hui.  Figure de notre arrondissement, ce grand humaniste, membre de la conférence de partage, avait la fraternité comme moteur de vie et participait à toutes nos commémorations. Très attaché à nos valeurs républicaines, particulièrement à la laïcité, il a longtemps porté fièrement nos drapeaux. Comme ancien président de l’Association pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés du 12e arrondissement, il a beaucoup travaillé à raconter aux petits parisiens l’histoire de la Shoah. En sa mémoire, je souhaite toutes et tous vous inviter au vernissage de l’exposition de l’AMEJD que nous accueillerons dans nos murs jeudi soir à 18h30. Je sais combien il aurait été heureux de partager avec vous le long travail qu’il a effectué pour la mémoire de ces enfants.  Pour lui, nous nous devons de reprendre le flambeau de la transmission mémorielle.

 

Je salue également la participation active des jeunes portes drapeaux, et des Scouts et Guides de France des paroisses de Saint Eloi et du Saint Esprit qui nous ont accompagnés depuis hier soir pour que le souvenir ne s’éteigne pas en veillant la flamme du monument aux morts. Flamme de la tombe du soldat inconnu ramenée ici chaque année précautionneusement depuis l’arc de triomphe par nos associations d’anciens combattants.

Avec vous les enfants, nous avons pu redonner vie pendant quelques instants à ces soldats vêtus de bleu, ces poilus devenus figures nationales, à la fois héros et victimes de cette Grande Guerre.

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1914-1918, durant ces quatre années, l’Europe manqua de se suicider. L’humanité s’était enfoncée dans le labyrinthe d’affrontements sans merci, dans un enfer qui a englouti tant de combattants, de quelque côté qu’ils soient, de quelque nationalité qu’ils soient.

Dès le lendemain de l’armistice, sur les « ruines des champs de bataille », commença le funèbre décompte des morts, des blessés, des mutilés, des disparus mais aussi des veuves, des orphelins…

En France, mais aussi dans chaque pays, les familles pendant des mois attendirent en vain le retour d’un père, d’un frère, d’un mari, d’un fiancé, et parmi ces absents, il y eut aussi ces femmes admirables engagées auprès des combattants. Le bilan est terrible :

10 millions de morts.

6 millions de blessés et mutilés.

3 millions de veuves.

6 millions d’orphelins.

Des millions de victimes civiles.

La longue liste des victimes parisiennes a été recoupée par un travail historique de longue haleine, mené avec l’armée, et nous avons enfin pu établir la liste officielle des victimes parisiennes de la Grande Guerre. Les victimes de Paris sont près de 95 000 dont 6000 du 12e arrondissement. Ces noms figurent sur les registres dans la vitrine à l’entrée du SFOM.

A l’occasion du centenaire l’année dernière, ces noms ont été inscrits sur les murs du cimetière du Père Lachaise. Paris était la seule ville de France qui n’affichait pas le nom de ces morts. Il aura fallu attendre 100 ans pour que ce soit enfin le cas.

Le monde a mis des dizaines d’années pour finir de découvrir l’ampleur de blessures que l’ardeur combattante avait occultée.

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Aux larmes des mourants, succèdent celles des survivants. Car le retour de la guerre est douloureux, retrouver son pays aussi. Car sur ce sol de France, le monde entier est venu combattre. Des jeunes hommes de toutes les provinces métropolitaines, mais aussi de l’outre-mer et des colonies. Ces jeunes hommes venus d’Afrique, du Pacifique, des Amériques et d’Asie sont venus se battre ou remplacer les ouvriers loin de leur famille dans des villes et villages dont ils ne connaissaient parfois même pas le nom.

 

Les femmes ont aussi participé à la lutte sur tous les fronts : au combat, elles soignaient les blessés, à la campagne, elles cultivaient les champs et en ville, les munitionnettes travaillaient à la production d’obus. La guerre voit ainsi naître les « combattantes de l’arrière », ces femmes qui travaillaient au service de l’industrie de l’armement pour leur famille et pour leur patrie.

 

Mais cette guerre ne fut qu’une parenthèse émancipatrice. Si cette période a vu s’affirmer de nouveaux modèles de femmes actives et indépendantes, elles seront malheureusement vite écrasées par un conservatisme social et une volonté forte d’un retour à un certain « ordre des sexes » plus conforme.  Pour observer de réels progrès dans l’égalité femmes hommes et l’accès à de nouveaux droits, il faudra attendre une autre grande guerre. Sans jamais, jusqu’aujourd’hui, 101 ans après, que ne soit encore atteinte cette égalité.

Certains combats restent encore à mener, et ceux déjà gagnés doivent toujours être défendus, au sein de la République et au bénéfice de toutes et tous.

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La leçon de la Grande Guerre ne peut être celle de la rancœur d’un peuple contre d’autres, pas plus que celle de l’oubli du passé. Pourtant, l’humiliation, l’esprit de revanche, la crise économique et morale ont nourri la montée des nationalismes et des totalitarismes, après 1918. La guerre de nouveau est venue ravager les chemins de la paix, vingt ans après celle que l’on espérait pourtant être « la der des der ». La guerre à peine terminée, les conditions d’une autre se mettaient en place. Comme l’ont chanté les enfants tout à l’heure :

Et si j’étais né en 17 à Leidenstadt

Sur les ruines d’un champ de bataille

Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens

Si j’avais été allemand?

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Il fallut un sursaut pour installer la paix durablement. Il vint de quelques hommes qui avaient tous traversé les deux guerres et en restaient profondément marqués. Ils voulaient que cela ne se puisse plus se reproduire, jamais. C’étaient notamment les Français Robert Schuman et Jean Monnet.

Ils voulaient que se construise une Europe de la paix. Avec le  Traité de Paris, en 1951, c’est la mise en commun du charbon et de l’acier qui avaient été la cause et les outils de tous les conflits entre la France et l’Allemagne. En 1957, le Traité de Rome crée la Communauté Économique Européenne et un marché commun.

L’amitié franco-allemande est enfin scellée. l’Europe retrouve ses couleurs. Après tant de déraison et de souffrances, le continent européen donnait au monde cet exemple sans équivalent dans l’histoire : des États bâtissant, par-delà la diversité des langues et des cultures, après deux guerres, une communauté d’intérêts basée sur des valeurs de paix et de fraternité.

Ce modèle, nous le pensions éternel. Et voilà que la montée du chômage, une crainte nouvelle de l’avenir, ont amené nos peuples à douter. Pour la première fois, avec le vote des Britanniques, un pays décide de sortir de l’Union européenne. Ce doute, si nous pouvons le comprendre, nous oblige toutefois à ne jamais oublier le danger vers lequel il peut nous conduire.

En ce 11 novembre 2019, 101 ans après un massacre dont la cicatrice est encore visible, je vous remercie pour cette cérémonie fraternelle. Puisse-ce rassemblement ne pas être seulement celui d’un jour. Cette fraternité nous invite, en effet, à mener ensemble le seul combat qui vaille : le combat de la paix.

Je vous remercie