11 novembre, 100 ans après comment honorer nos morts?

novembre 11, 2018 dans A la une, A vos côtés par Catherine Baratti-Elbaz

Monsieur le Président du Comité d’Entente des Associations de Combattants et Victimes de Guerre,
Mesdames et Messieurs les Présidents et membres des associations d’anciens combattants,
Madame la Principale,
Madame la Directrice, Monsieur le Directeur,
Monsieur le Commissaire,
Monsieur le représentant du régiment de cavalerie de la Garde Républicaine,
Mesdames et Messieurs les élu-e-s,
Mesdames et Messieurs,

Cher-e-s enfants,

100 ans ! 100 ans que le Clairon de l’armistice de la Grande Guerre a sonné.

100 ans c’est l’âge de Pâquerette, cette pensionnaire de Ma Maison des petites sœurs des pauvres. Pâquerette fait partie de nos doyens d’âge et pourtant si elle se souvient bien de la Seconde guerre mondiale, elle me confiait récemment avoir de la peine à se remémorer son oncle, pourtant mort pour la France à Verdun, présenté comme un héros dans la famille.

Les témoins directs de 14-18 ne sont plus là, le dernier Poilu est mort il y a déjà 10 ans. 100 ans après l’armistice, nous sommes nous les témoins des témoins, des témoins de 2eme rang, ceux qui ont reçu la parole des survivants de cette Grande Guerre. Nous avons réceptionné leurs témoignages, à nous de passer le relai de la mémoire aux nouvelles générations.

C’est pour cela que j’ai souhaité associer largement la jeunesse du 12e arrondissement à cette cérémonie exceptionnelle du centenaire.  Je tiens à remercier chaleureusement les enseignants et la directrice de l’école du 253 ter Avenue Daumesnil pour ces belles et émouvantes lectures, place Félix Eboué tout à l’heure. Bravo à vous chers enfants pour cet exercice difficile. Grâce à vous nous avons pu redonner vie pendant quelques instants à ces soldats vêtus de bleu, ces poilus devenus une figure nationale consensuelle, à la fois héros et victimes de cette Grande Guerre. Ces écrivains des tranchées sont parfois restés anonymes, d’autres sont devenus de vrais artistes et une plaque est apposée au Panthéon pour rendre hommage à ces près de 560 représentants de la pensée française morts pour la Patrie.

Je remercie également le directeur, les enseignants et enfants de l’école Bignon, avec nous également aujourd’hui pour participer à cette cérémonie républicaine. Ils ont réalisé ces centaines de Bleuets qui décorent notre salle des fêtes. Cette petite et fragile fleur bleue, synonyme d’hommage aux soldats et leur famille, était l’une des rares à pousser sur les champs de bataille du Nord de la France. On doit la création du Bleuet de France à deux infirmières, touchées par le sort des blessés de guerre et les «gueules cassées» dont elles s’occupaient à l’hôpital militaire des Invalides. Elles organisaient des ateliers durant lesquels sont brodées ces fleurs à l’aide de tissu et papier journal dès 1916. Les recettes sont alors versées à ces patients afin de leur fournir un semblant de salaire.

Les anglais retiendront eux le coquelicot, une autre fleur des champs de bataille, dont le rouge rappelle le sang versé par les millions de victimes.

Je salue également la présence de la principale, la Conseillère Principale d’Education et les élèves du collège public Paul Valéry dans le cadre de l’important travail de mémoire mené par ce collège de notre arrondissement. Cet été, il a accueilli le drapeau du mouvement de résistance « Libération Nord » et le porte pour cette cérémonie. Car si nous commémorons ici aujourd’hui les morts de la Grande guerre de 1914 à 1918, nous ne pouvons pas ignorer l’histoire qui a suivi, nous ne pouvons pas ignorer les conséquences des décisions prises par les Alliés sur l’histoire du continent européen comme sur les terres du moyen orient dont le partage entre les puissances coloniales a marqué durablement ce territoire, nous ne pouvons ignorer que si certains jeunes héros de la 1ère guerre mondiale furent parmi les premiers à rejoindre la Résistance en 1940, d’autres suivirent un tout autre chemin et donc nous ne pouvons en aucun cas ignorer les actions punies d’une indignité nationale lors de la seconde guerre mondiale lorsque nous rendons hommage aux grands militaires de la 1ère . L’histoire de se fractionne pas.

Nous devons regarder en face les parcours de chacun dans leur globalité et mener ce travail de vérité avec exigence sur les événements afin que notre travail de mémoire soit le plus juste possible. Nous le devons à toutes les victimes.

Enfin, je me félicite de la participation active des jeunes portes drapeaux, et des Scouts et Guides de France des paroisses Saint Eloi et Saint esprit qui nous ont accompagnés depuis hier soir, lors de la veillée de la flamme et lors de chacune de nos étapes commémoratives dans l’arrondissement.

Car nous aussi nous avons réalisé une itinérance mémorielle, modestement, à travers le 12e. Ce matin comme chaque année en rendant hommage successivement aux pompiers de Paris à la caserne de Chaligny puis aux policiers morts pour la France devant le commissariat central avenue Daumesnil, puis nous avons défilé depuis la place Félix Eboué jusque devant notre monument aux morts. Pour chaque commémoration, cérémonie pour se souvenir ensemble, nous accomplissons avec constance un rituel républicain précis, hérité de nos prédécesseurs.

Comme dans chaque commune de France, nous nous retrouvons pour partager ensemble ces instants déterminants dans la construction d’une communauté nationale fraternelle.

Quel est ce rituel que nous suivons? Quelle est sa signification ? Nous reproduisons les mêmes gestes depuis 1922, année au cours de laquelle ce 11 novembre deviendra férié, grâce à la mobilisation des anciens combattants. Mais de l’hommage aux armées, puis aux anciens combattants, la cérémonie a évolué en 100 ans et elle tend aujourd’hui à fêter la paix et l’Europe.

Depuis 100 ans, la communauté nationale se rassemble, au plus au sommet de l’Etat, avec des représentants de nombreuses nations mais surtout localement, dans chaque commune de France, les français se retrouvent. Dans sa diversité la communauté nationale montre sa capacité à s’unir pour d’abord rendre hommage aux soldats. Nous sommes ici, élus de tous les bords, anciens combattants, enfants et familles, citoyens du 12e pour marquer notre reconnaissance à l’armée de la Nation d’avoir mené la bataille.

Ensuite vient l’hommage aux morts, aux morts pour la France. C’est après la 1ere guerre mondiale que naissent les monuments aux morts. Dans la pierre ils gravent de manière irréversible l’hommage de la communauté nationale aux soldats morts pour nous. Ces monuments témoignent de la violence du conflit, de la place du deuil, comme de la volonté d’inscrire dans la mémoire collective l’ampleur du sacrifice entraîné par cette guerre que l’on espérait être la « Der des Ders ».

Partout, comme ici dans le 12e, les monuments sont situés au cœur de la commune, à coté de la Mairie. Ils sont le lieu de rassemblement de tous et toutes pour se recueillir. Lors de cette minute de silence, sorte de prière républicaine, précédée d’un sobre « Aux morts » nos pensées vont vers ceux que nous n’avons pas connus, mais qui comme nous habitaient cette commune, ce quartier et qui sont partis mourir pour la France. Après le silence, retentit l’hymne national, cette Marseillaise que nous chantons ensemble.

Ce monument est souvent la seule sépulture pour ces soldats morts en masse sur les champs de bataille. Au lendemain de la 1ère guerre mondiale, les familles endeuillées doivent faire leur travail de deuil sans pouvoir enterrer leur fils, leur frère, leur père dans le caveau familial dans le cimetière où repose déjà les ancêtres. Le monument aux morts sera érigé comme lieu de mémoire collective. Les morts pour la France appartiennent désormais au commun.

Après l’armistice, viendra le temps d’établir la liste nominative des morts. Pour rendre hommage, pour ce souvenir correctement, dignement, il faut en effet pouvoir nommer, énumérer la liste de ceux qui ont donné leur vie pour la Liberté de la France. C’est un travail fastidieux, qui peut prendre des années, mais qu’il est indispensable de faire pour que notre devoir de mémoire puisse être correctement réalisé.

Ainsi à Paris, à l’issue de la guerre, les familles parisiennes ont été invitées à venir signaler les victimes de la guerre dans chaque Mairie d’arrondissement. Les noms, prénoms, âge des victimes et leur adresse ont ainsi été scrupuleusement reportés dans un livre d’or. Celui du 12e est exposé depuis 1955 dans le couloir qui mène à cette salle, dans une vitrine réalisée à l’initiative de la société d’entraide des membres de la Légion d’honneur par les élèves de l’école Boulle. J’ai demandé à ce que vous puissiez le voir, à l’occasion de ce centenaire.

La longue liste des victimes parisiennes a été recoupée par un long travail historique avec celle de l’armée, et nous avons enfin pu établir la liste officielle des victimes parisiennes de la Grande Guerre. Elle est désormais publique et consultable par chacun en ligne. Les victimes du 12e sont environs 6000 pour près de 95 000 morts pour la France habitants Paris.

A l’occasion de ce centenaire, ces noms ont été inscrits sur les murs du cimetière du Père Lachaise. Paris était la seule ville de France qui n’affichait pas le nom de ces morts. Il aura fallut attendre 100 ans pour que ce soit enfin le cas. Le monument sera inauguré cette après midi par la Maire de Paris et l’ensemble des élus de la capitale.

Avant les monuments aux morts municipaux, de nombreuses plaques honoraient déjà la mémoire de ceux qui sont tombés pour la France. La mémoire des cheminots de la compagnie PLM, morts pendant la Grande Guerre est ainsi honorée par une plaque qui liste leurs noms en gare de Lyon, et devant laquelle nous nous recueillons chaque année.

Mais je suis aussi allée cette année dans le jardin d’agronomie tropicale, dans le Bois de Vincennes pour honorer la mémoire de ces soldats coloniaux, qui déjà pendant la Grande Guerre sont morts pour la France. Un hôpital militaire leur était réservé. L’hôpital accueille au cours du conflit plus de 4 800 soldats, originaires principalement d’Afrique du Nord et de l’Ouest, mais aussi de Madagascar, de Polynésie, d’Asie et des Antilles. Les mêmes colonies qui sont représentées dans notre salon de la France des outre-mers. L’hopital continue de fonctionner jusqu’au mois d’avril 1919. Des monuments ont été érigés en mémoire de ces soldats, aussi morts pour la France. En votre nom, avec mon adjointe Brigitte Velay Bosc, aux cotés des autorités françaises et malgaches, nous nous sommes ainsi inclinées devant le monument dédié aux victimes venues de la lointaine île de Madagascar.

Les soldats coloniaux malgaches comme chinois ont été mobilisés deux à trois ans après le début de la guerre afin de contribuer à l’effort de guerre, plus comme travailleurs que comme combattants. Pour mettre en lumière l’engagement et le sacrifice des travailleurs chinois souvent passé sous silence, à l’occasion du centenaire nous avons inauguré une sculpture sur le parvis de la gare de Lyon, Louis Armand. Coulée dans le bronze cette page méconnue de notre histoire s’affiche désormais dans notre espace public.

Originaire de la région de Shandong où ils étaient considérés comme les plus robustes, les travailleurs chinois entamaient leur voyage par 3 mois de bateau, après un débarquement à Marseille, ils arrivaient dans la capitale par le train en Gare de Lyon.

Comme le rappelle déjà une plaque rue Chrétien de Troyes, ils sont à l’origine du premier quartier chinois de Paris, dans l’ancien l’îlot Chalon. Demain, nous accueillerons ici des représentants de l’ambassade de Chine, les associations de mémoire et les représentants de la province de Shandong, pour un colloque et un temps d’échange sur cette page de notre histoire commune, encore peu connue. Preuve que nous avons encore du travail à faire, avec les historiens, pour mesurer toutes les conséquences de cette guerre finie il y a pourtant 100ans, mais qui a durablement marqué le monde entier.

C’est aussi pour cette raison, pour poursuivre ce travail pédagogique que nous accueillons en Mairie cette exposition de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, devant laquelle nous sommes passés en haut des escaliers d’honneur. L’ONAC accompagne depuis 1916 tous les combattants et les victimes des conflits, avec trois missions principales : la reconnaissance et la réparation, la solidarité et la mémoire. Aujourd’hui, il apporte son soutien à près de 3 millions de ressortissants de toutes les générations du feu et leurs familles. Il est un acteur majeur de la fraternité nationale, ce 3eme pilier de notre République.

Je veux ici rendre hommage aux anciens combattants du 12e avec lesquels nous organisons ces cérémonies, tout au long de l’année et avoir une pensée particulière pour Maurice Cassan, le Président du comité d’entente qui veille depuis de nombreuses années au respect des règles protocolaires de nos cérémonies. Cérémonies qui ont débuté dès hier soir avec les anciens combattants du 12e et pour ce centenaire avec les enfants.

Car parmi les rituels incontournables, l’hommage au soldat inconnu permet d’honorer la mémoire de toutes les victimes militaires. La flamme du souvenir est ainsi ravivée sur sa tombe chaque année sous l’arc de triomphe de la place de l’Etoile. Mais vous l’avez ramenée dans le 12e et nous avons veillé consciencieusement hier soir ensemble sur cette flamme pour que le souvenir ne s’éteigne pas.

Pour maintenir vivant le calvaire de la guerre, la dure vie des tranchées comme l’universalité de la souffrance, les artistes jouent pleinement leurs rôles.

 

C’est à eux que nous avons souhaité faire appel pour clôturer cette cérémonie. La violence vécue lors de cette guerre nous est transmise par les mémoires familiales via des millions de lettres rédigées par les Poilus qui nous donnent une connaissance presque intime de ce qu’ils vivaient.

Je remercie les artistes de l’Association d’Aide à la Création Artistique qui dans quelques instants nous feront une lecture artistique, avec les Scouts et Guides de France, de ces lettres si bouleversantes.

Pour la première fois dans l’histoire de la guerre, les soldats de 14 savaient quasiment tous lire et écrire. Ils pouvaient exprimer leurs espoirs, leur effroi et parfois leur révolte. Le simple fait que ces souvenirs aient été conservés précieusement par delà les générations, illustre bien que les familles de France ont compris la nécessité de transmettre ces histoires individuelles, comme autant de briques de notre histoire collective. Cent ans après, ces témoignages restent précieux pour redire l’effort de guerre d’une Nation toute entière et trouvent toute leur place dans cette cérémonie. Nous le verrons, le message des Poilus était aussi pacifiste, ne l’oublions pas.

Malheureusement la montée des nationalismes en Europe revalorise l’idée de mourir pour sa patrie, c’est un risque que nous devons mesurer. La comparaison des époques peut être hasardeuse et risquée, mais certains signaux doivent nous alerter. Ainsi l’augmentation des actes antisémites nous appelle à la plus grande vigilance collective car souvent dans notre histoire la montée de l’antisémitisme a été un avertissement. La stigmatisation de la différence, la peur de l’autre, le repli sur soi, l’instrumentalisation de l’histoire sont autant de signaux inquiétants qui doivent nous remobiliser pour stopper cet engrenage mortifère et pour défendre la paix fragile dont nous avons hérité.

100 ans après, il nous faut réinterroger ce rituel commémoratif et imaginer comment relever le défi de se souvenir ensemble de la Grande Guerre, avec toutes les forces Alliées mais également avec les Allemands, pour qui cette date du 11 novembre reste difficile à célébrer. Pourtant le continent européen partage une communauté de destin, et doit pouvoir se souvenir ensemble pour se construire un destin commun.

100 ans après, ces millions de morts nous obligent à construire une Europe de la paix. Au nom de leur sacrifice, nous devons travailler à une paix durable pour nos enfants, leurs enfants.