55ème anniversaire du 19 mars 1962

mars 20, 2017 dans A la une, A vos côtés, Actualités par Catherine Baratti-Elbaz

Discours du 55e anniversaire du cessez le feu en Algérie-

Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc

Monsieur le Président du Comité de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Tunisie et Maroc,

Monsieur le Vice-président National de l’Union Française des Associations de Combattants et de Victimes de Guerre,

Madame la Députée, Monsieur de Député

Mesdames et Messieurs les membres des associations d’anciens combattants,

Mesdames et Messieurs les élus,

Mesdames et Messieurs,

Après un dépôt de gerbe sur la place du 19 mars 1962, à l’angle des rues Parrot, Abel, Legraverend et de l’avenue Daumesnil, je suis honorée de prendre la parole devant vous à l’occasion de ce 55e anniversaire du cessez-le-feu en Algérie en cette Journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes, civiles et militaires, de la Guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.

J’ai une pensée particulière pour Monsieur LAURANS, Président de la FNACA Paris, qui avait à cœur d’être parmi nous, spécialement en ce 55e anniversaire et je lui adresse mon soutien le plus sincère.

Il y a 55 ans, le cessez-le-feu était proclamé en Algérie après huit années d’une guerre qui ne disait pas son nom mais en contenait pourtant toutes les horreurs.

En organisant et en prenant part à cette commémoration à nouveau cette année, nous contribuons à légitimer cette date symbolique du début de l’achèvement de la guerre d’Algérie. L’occasion d’honorer le souvenir des nombreuses victimes de la « Tragédie algérienne » sans pour autant instrumentaliser cette blessure de notre Mémoire collective.

Aujourd’hui, nous honorons toutes les douleurs et nous reconnaissons toutes les souffrances liées à cette guerre.

Nous devons respecter ces mémoires sans blesser les uns pour tenter de séduire les autres, particulièrement au cœur d’une période électorale déterminante pour notre pays.

En cette journée nationale de mémoire nous n’oublions aucune des victimes, nombreuses: les 250 000 à 300 000 morts dans la population algérienne, ni les 25 000 morts français,  ni les 65 000 blessés militaires ni les 2788 civils français tués du 1er novembre 1954 au 19 mars 1962 et enfin les milliers de français et algériens enlevés et disparus après le cessez-le-feu, sans oublier non plus les victimes des attentats perpétrés par l’OAS.

Entamée par les attentats nationalistes du 1er novembre 1954 cette guerre s’est achevée « officiellement » par la signature des Accords d’Evian, le 18 mars 1962. Environ 1,5 million de jeunes hommes français sont allés en Algérie. Les soldats du contingent français ont répondu présents avec courage et ont vécu douloureusement ces huit années de combat, d’attentats, de tortures et de répression.

Pour eux, la date du 19 mars 1962 est fondamentale. Elle est synonyme de la fin des épreuves, et des retrouvailles avec sa famille et son travail, sans que rien ne puisse jamais être oublié.

Commémorer cette date, c’est aussi rendre hommage à toutes celles et tous ceux, brisés par le silence et l’oubli : rapatriés, harkis, anciens soldats du contingent, militaires professionnels, familles endeuillées. Souvent amers, parfois rongés par le silence et la culpabilité.

Nous pouvons le dire aujourd’hui : il n’existait pas de solution évidente, de solution acceptable par tous et pour tous en Algérie. Une situation inextricable qui rend si difficile l’exercice de recherche des responsabilités.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, si la France est à la table des vainqueurs, elle le doit beaucoup à ses colonies. Pour autant, elle ne saisit pas l’importance de répondre aux demandes de liberté pour s’adapter à un nouvel ordre mondial. Elle perdra en moins de vingt ans la plupart des territoires qu’elle contrôlait, avec des conflits extrêmement violents en Indochine puis en Algérie.

La France fût confrontée à un douloureux dilemme, tiraillée entre la revendication légitime de l’indépendance portée par de nombreux Algériens après 132 ans de colonisation et le caractère insoutenable de cette solution due à un attachement profond, viscéral pour certains, à cette terre algérienne.

L’Algérie fût «  la dernière page de l’histoire de l’empire colonial français » et il faut savoir la refermer ensemble sans regrets, malgré les souffrances.

Pourtant encore aujourd’hui on peut avoir le sentiment que « La guerre d’Algérie continue dans les têtes, les cœurs, les mémoires ». Pour la génération qui vient, celle des filles et fils, petites-filles et petits-fils des soldats français, des harkis, des pieds noirs, des algériens, des immigrés algériens en France, certains devenus français… pour tous ceux-là nous devons faire la paix dans nos têtes et nos cœurs.

Des malentendus durent encore, nous devons les lever.

Cela ne pourra se faire sans une exigence de vérité, une reconnaissance de toutes les douleurs et une réparation de toutes les injustices liées au silence et à l’indifférence. La colonisation n’est pas encore une séquence historique admise par tous.

Il n’y a pas aujourd’hui de grand pays colonisateur –Grande-Bretagne, Belgique, Portugal, Hollande – poursuivi devant les instances internationales pour son rôle pendant ce moment de notre histoire.

Qu’il y ait eu des crimes en Algérie, que la torture ait été pratiquée, plus personne ne peut en douter. Pourtant en France, en raison des quatre lois d’amnistie, il n’y a jamais eu de restitution publique de ce qui s’est passé durant cette période et personne n’a été poursuivi.

C’est surement ce qui contribue à faire de la fin de la guerre d’Algérie l’une des commémorations historiques en France les plus problématiques.

Mais nous devons cesser de porter le poids de la culpabilité et du silence, pour permettre une transmission apaisée de cette douloureuse histoire.

Le défi des commémorations de la guerre d’Algérie est bien d’éviter une « communautarisation de cette mémoire » comme nous y invite Benjamin Stora. Chacun des groupes de mémoire formés après la guerre d’indépendance, s’enferme encore aujourd’hui dans son propre rapport au passé. Il nous faut réconcilier ces parcours individuels dans notre Histoire commune, nous permettant de nous projeter ensemble vers l’avenir.

Comme Kamel Daoud, j’ai la conviction qu’il ne sortira rien de bon de l’exploitation du fonds de commerce de la guerre d’Algérie. Il est grand temps de se consacrer aux relations présentes entre l’Algérie et la France. Alimenter l’acrimonie autour de la colonisation algérienne entrave l’élaboration d’une relation constructive permettant l’apaisement de nos sociétés actuelles, de part et d’autre de la Méditerranée, comme de nous projeter dans l’avenir. Assumer notre Histoire pour affronter notre présent, tel est notre défi collectif.

Aujourd’hui, nous ne devons plus risquer de diviser encore notre Nation au sujet de querelles mémorielles.

La politique mémorielle menée ces vingt dernières années, nous la devons essentiellement à vous, anciens combattants de la Guerre d’Algérie, mais aussi aux nombreux historiens qui n’ont cessé de rechercher le vrai pour parvenir à panser cette blessure.

Je pense aussi au massacre du 17 octobre 1961 reconnu  qu’en 2001 par la pose d’une plaque commémorative à Paris. Le 14 juillet prochain, nous aurons l’occasion de réveiller la mémoire des troubles qui ont précédé la guerre en rendant hommage aux militants indépendantistes du mouvement pour les libertés démocratiques en Algérie, militants de la CGT et du PCF, victimes de la répression policière ici à Paris.

Je tiens aussi à rendre hommage au travail engagé par le Président de la République pour que le drame qu’ont traversé les Harkis soit reconnu. Le plan lancé en 2014 s’appuie sur les valeurs de mémoire et de justice, permettant enfin la reconnaissance et la réparation.

La multiplicité des victimes de cette guerre nous impose encore plus qu’il y a 55 ans de refuser toutes les formes d’instrumentalisation.

 

Ceux qui ne reconnaissent pas cette date symbolique du 19 mars nient le dessein pourtant affichée, de la proposition à l’origine de cette commémoration. Cette date n’efface aucune histoire, aucune douleur. Elle est empreinte du souvenir d’une guerre cruelle comme  des drames vécus et les déchirements de tous.

Elle rappelle aussi bien la douleur ressentie par les Français d’Algérie rapatriés, brisés par l’abandon de leurs terres et de leurs racines que le lourd tribut payé par les harkis au terme de cette guerre.

Nier la commémoration du cessez-le-feu, c’est omettre la nécessaire remise en question de la colonisation et les souffrances endurées par le peuple algérien, c’est étouffer l’établissement d’une mémoire commune et donc de l’unité qui doit définir une nation.

La Guerre d’Algérie s’est achevée officiellement par la signature des Accords d’Evian. Les violences n’ont pas cessé après l’annonce de cette signature. Mais cette date qui symbolise l’exode pour certains et la naissance d’une nouvelle nation pour d’autres, doit rester la date du souvenir  pour toutes les victimes, quelles qu’elles soient.

Je finirai par ces mots prononcés par notre Président de la République lors de la première commémoration nationale du 19 mars: « Alimenter la guerre des mémoires, c’est rester prisonnier du passé ; faire la paix des mémoires, c’est regarder l’avenir ».

 

Je vous remercie.